Mais la nouvelle donne marocaine impactera-t-elle les relations bilatérales ?
« Pas de craintes ! avec le PJD il n’y aura jamais de surprises. Nous allons développer les relations avec l’Occident » a déclaré Abdelilah Benkirane avant de préciser « nous n’avons pas besoin de le rassurer, il l’est déjà. ». On se souvient qu’au mois d’ octobre en présentant le programme de son parti durant la campagne des législatives, le dirigeant avait donné des gages en matière de politique internationale et mis en avant « la priorité donnée à l’Europe et aux Etats-Unis, avant l’Afrique et les pays arabes, parce que nous sommes conscients de l’importance de ces deux partenaires ». Une position qui rassurait les chancelleries occidentales à Rabat, dont celle de la France, avec lesquelles le PJD entretient des contacts normaux et réguliers comme d’autres partis de l’échiquier politique marocain. Paris a donc reçu le message cinq sur cinq et y a répondu aussitôt par la bouche de son ministre des Affaires Etrangères dès l’annonce officielle du résultat du vote.
« Une erreur historique… »
« Les élections au Maroc se sont déroulées dans de bonnes conditions comme en Tunisie. Elles ont donné un résultat qu’il faut respecter » a d’abord souligné Alain Juppé. C’est en effet pour l’exécutif français le premier enseignement qu’il faut tirer de ce scrutin comme l’avait d’ailleurs fait un communiqué officiel qui ne commentait pas la victoire des islamistes. Un événement que le patron du Quai d’Orsay n’a pourtant pas occulté mais qu’il a relativisé sur France Info en rappelant « que le parti qui arrive en tête, qui est loin d’avoir la majorité absolue puisqu’il a une centaine de sièges sur environ 400, était déjà représenté dans le précédent Parlement marocain ». Pour le numéro 2 du gouvernement, il ne s’agit pas d’un séisme régional mais il a tenu a envoyer un signal clair et positif en expliquant « c’est un parti qui a des positions modérées. On ne peut pas partir du principe que tout parti qui se référe à l’islam doit être stigmatisé . Ce serait une erreur historique, il faut au contraire parler avec ceux qui ne franchissent pas les lignes rouges qui sont les nôtres, c’est-à-dire le respect des élections, l’Etat de droit, les droits de l’homme et de la femme ». Dominique de Villepin, qui fait référence en matière de politique étrangère, défend cette ligne. Pour ce dernier, l’islamisme en tant que courant politique a non seulement le droit d’exister, mais est quelquefois porteur sur le plan social de programmes « audacieux » qui méritent l’attention du monde occidental. De son côté, le député-maire de Lyon, le socialiste Gérard Collomb, estime que les « islamistes vont découvrir que l’exercice du pouvoir est plus difficile que l’opposition”. ».
Un même son de cloche
Pas d’anathème, le discours de la classe politique se veut en général discret et rassurant, comme celui des experts. Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche du CNRS à Rabat, souligne par exemple dans l’Express que le PJD « participe depuis une dizaine d’années au jeu politique et ne conteste pas le régime monarchique. Il est conservateur, certes, mais modéré. Il n’a pas, par exemple, de mot d’ordre d’application de la charia. Il ne propose pas non plus de remettre en cause la Moudawana, le code de la famille qui a été révisé en 2004, améliorant la protection des droits des femmes. Son orientation est tout sauf inquiétante à mes yeux». C’est le même son de cloche que l’on entend, et cela n’est pas une surprise, sur les choix économiques du parti islamiste.A l’exemple d’Ennahda ?
Les diplomates français et occidentaux misent donc sur « le pragmatisme des islamistes modérés » mais ils admettent que l’exception marocaine a ses limites et qu’il faudra s’habituer à cette nouvelle donne d’autant qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une lame de fond qui balaie le Maghreb ». Elle survient en effet après le raz de marée électoral des islamistes d’Ennahda en Tunisie. Leur poids écrasant sur l’appareil gouvernemental de transition comme dans l’Assemblée constituante interpelle les élites laïques comme Mezri Haddad, ancien ambassadeur de la Tunisie à l’Unesco, qui avait pourtant démissionné pour soutenir la révolution. Dans un récent entretien France-Soir.fr , il laissait percer ses inquiétudes : « Les islamistes tunisiens ne couperont pas la main aux voleurs, ils ne reviendront pas tout de suite sur le Code du statut personnel bourguibien qui accorde aux femmes des droits comme nulle part ailleurs dans le monde arabe. Ils ne fermeront pas non plus les hôtels, mais ils feront appel au tourisme islamique. Ils ne reviendront pas sur les orientations libérales de l’économie tunisienne, mais ils accentueront au contraire les pratiques de l’économie de marché, selon l’orthodoxie américaine. Ils ne forceront pas les femmes à porter le voile, mais c’est la pression sociale qui les y contraindra. Ils n’aboliront pas le système de l’éducation nationale modernisé par Mohamed Charfi, mais ils réformeront les manuels scolaires dans le sens contraire. Ils ne changeront pas radicalement les lois civiles et pénales, mais ils travailleront à leurs progressive « chariatisation »… Dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle, ils procéderont par petites touches, de façon graduelle, par islamisme…modéré ». Peut-on aujourd’hui en dire autant d’un PJD qui se prépare à gouverner, pour la première fois dans l’histoire du Royaume ?
Et la coopération culturelle ?
Abdelilah Benkirane et ses amis n’ont pas caché durant la campagne des législatives qu’ils comptaient notamment sur l’effet Ennhada pour l’emporter et cela s’est finalement vérifié. Mais ils l’admettent eux-mêmes, la situation est loin d’être comparable entre les deux pays. La Tunisie a connu une révolution et depuis l’effondrement de la dictature, tout ou presque est à rebâtir. “Au Maroc, la légitimité de la monarchie n’a jamais été remise en cause, le souverain a su avec une grande intelligence anticiper la volonté de réforme”, tempère un diplomate français qui souligne que « le PJD s’est d’ailleurs tout de suite démarqué des tendances les plus radicales qui s’exprimaient au sein du mouvement du 20 février pour affirmer son attachement à la monarchie. Les élections législatives débouchent simplement sur un gouvernement d’alternance dans le cadre des institutions marocaines et les choses sont parfaitement claires ». Rien ne devrait donc altérer la relation privilégiée qui existe entre Paris et Rabat, plus précisément entre l’Elysée et le Palais Royal et dans les deux capitales la politique internationale fait partie de leur « domaine réservé ». C’est moins certain pour les relations bilatérales et de coopération à un niveau inférieur .
Nul n’ignore combien est capital le poids de la « mission » française, c’est-à-dire de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE) dans la coopération franco-marocaine. Pour des raisons historiques, depuis l’arabisation de l’enseignement marocain, le débat n’a pas toujours été très facile entre Paris et notamment les ministres istiqaliens. Il pourrait se compliquer un peu plus avec le PJD et une coalition islamo-conservatrice.
Récemment, le Quai d’Orsay avait très mal reçu la déclaration du leader d’Ennhada qui réclamait un retour à la pureté linguistique estimant que le Français avait « pollué » la langue arabe. Sur ce terrain, identitaire et culturel, glissant s’il en est, le parti de la Lampe pourrait lui aussi faire ressurgir ses vieux démons.
Alex PANZANI
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