Bourse : le gendarme Jouyet sur la brèche

Le 22 juin, ? l'avant-dernier jour du proc?s de J?r?me Kerviel, l'Autorit? des march?s financiers (AMF) sera cit?e comme t?moin par une partie civile. En l'occurrence, un petit actionnaire qui d?nonce le r?le jou? par l'ancien secr?taire g?n?ral du gendarme de la Bourse, le week-end o? la Soci?t? g?n?rale a d?couvert les op?rations du trader et pr?par? leur d?bouclage. Un pav? de plus dans l'oc?an d'ennuis qui a submerg? Jean-Pierre Jouyet, d?s sa prise de fonction ? la t?te de l'institution, le 15 d?cembre 2008.?

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"Ils arrivaient par paquets", raconte Agn?s Romatet-Espagne, qui l'a suivi du Quai d'Orsay ? la place de la Bourse. A peine nomm?, l'ancien ministre des Affaires europ?ennes a vu d?bouler l'affaire Madoff et les 500 millions de pertes enregistr?es par des investisseurs individuels sur des produits pourtant lab?lis?s. ?

Puis c'est le feuilleton EADS qui l'a rattrap? : l'enqu?te fleuve de l'AMF mettait en cause 17 dirigeants du groupe a?ronautique pour manquement d'initi?s. Elle a donn? lieu ? une audience historique de la commission des sanctions - quatre jours et demi de d?bats, 80 avocats pour la d?fense - qui a in fine conclu ? l'absence de griefs. Enfin, la crise grecque a contraint l'Autorit? ? plonger dans les zones grises de la sp?culation sur les op?rations de gr? ? gr?.?

L'Autorit? des march?s financiers a pour anc?tre la Commission des op?rations de Bourse, cr??e en 1967. Sa mission : assurer la protection de l'?pargne, l'information des investisseurs et la surveillance des march?s. Son fonctionnement reste obscur pour le commun des mortels : d'un c?t?, un coll?ge de 16 membres dirig? par un pr?sident au mandat de cinq ans non renouvelable ; de l'autre, des services de contr?le et de surveillance chapeaut?s par un secr?taire g?n?ral et, enfin, une commission des sanctions ind?pendante. C'est le secr?taire g?n?ral qui d?cide de l'ouverture d'une enqu?te ; c'est le coll?ge qui, ensuite, notifie ?ventuellement des griefs et transmet les dossiers ? la commission des sanctions, qui est seule d?cisionnaire.?

La future loi de r?gulation bancaire et financi?re accro?t les pouvoirs de l'AMF sur les produits d?riv?s, les fonds sp?culatifs et les agences de notation. Elle rel?ve aussi le plafond des sanctions de 10 ? 100 millions d'euros. Reste ? donner ? l'institution les moyens de ces nouvelles ambitions.?

Du gouvernement ? l'AMF, en passant par l'Europe

Beaucoup pour un seul homme ? Ministre d'ouverture, Jean-Pierre Jouyet avait choisi de quitter le gouvernement, une fois accomplie sa mission pour faire de la pr?sidence fran?aise de l'Union europ?enne le succ?s escompt? par Nicolas Sarkozy. ?

Haut fonctionnaire de gauche, issu de l'Inspection des finances, en permanence titill? par la politique - il a ?t? directeur du cabinet de Jacques Delors ? la Commission europ?enne puis directeur adjoint du cabinet de Lionel Jospin ? Matignon - Jouyet ne se voyait pas battre campagne sous l'?tiquette UMP. Question d'ind?pendance d'esprit : "Je suis un animal un peu bizarre, avec des id?aux de gauche et un r?alisme de droite, et je suis bien comme cela", dit cet intime de Fran?ois Hollande.?

Une institution contest?e

Va donc pour l'AMF, autre b?te curieuse, n?e, en 2003, de la fusion de la Commission des op?rations de Bourse et du Conseil des march?s financiers, qui m?le en son sein pouvoirs de r?gulation, de surveillance, de r?glementation et de sanction (voir encadr?). Rien que ?a ! Quelque 400 salari?s pour un millier de soci?t?s cot?es et presque autant de soci?t?s d'investissement. Une institution verrouill?e dix ans durant par le tandem Prada-Rameix, au fonctionnement pas toujours lisible et aux d?cisions souvent contest?es. Par ceux qu'elle sanctionne, ?videmment, mais aussi par ceux qu'elle est cens?e prot?ger, comme les petits actionnaires.?

Le 13 d?cembre 2008, dans le dernier post de son blog "Vues d'Europe", Jean-Pierre Jouyet se d?crivait "comme en apesanteur". "J'ai v?cu dix-huit mois qui m'auront marqu? ? jamais", ?crivait-il. "L'Europe, pour moi, c'est affectif, intellectuel, politique, irrempla?able", confie-t-il encore aujourd'hui, alors qu'il vient tout juste de passer le cap des dix-huit mois dans ses nouveaux habits. ?

L'acclimatation aura ?t? ardue, voire ingrate. La mati?re est ultratechnique, la maison tr?s hi?rarchis?e, voire scl?ros?e. Et le pouvoir dilu?. "L'AMF a un c?t? empire de Chine, reconna?t son pr?sident. La r?partition des pouvoirs entre ses instances est extr?mement sophistiqu?e." ?

R?seaux politiques mobilis?s

Lui-m?me pr?side un coll?ge de 16 personnes, ar?opage de magistrats et de professionnels, qui ne l'ont pas ?lu et qu'il faut manoeuvrer avec doigt?. En esprit libre et en amoureux des mots, Jouyet a saisi le premier pouvoir ? sa disposition: celui du verbe. Son service de presse ne compte plus les interviews accord?es. Le voil? sur toutes les antennes, r?agissant ? la crise financi?re, appelant de ses voeux une r?gulation europ?enne forte, n'h?sitant pas ? faire part de son point de vue sur la double casquette du patron d'EDF, Henri Proglio, ou sur le plan d'aust?rit? allemand. D'un seul coup, l'AMF prend part au d?bat : "Il a une mani?re de communiquer tr?s delorienne : simple et efficace", souligne son ami, le financier Charles-Henri Filippi.?

Pourtant, Jouyet le bon ?l?ve a dout? : "Il y a eu quelques mois pendant lesquels l'atterrissage ?tait difficile, reconna?t-il. Il m'a fallu plus d'un an pour trouver un rythme de croisi?re." La machine est d?sormais lanc?e. Le projet de loi de r?gulation bancaire et financi?re, vot? le 10 juin ? l'Assembl?e nationale, qui dote l'AMF de pouvoirs suppl?mentaires dans la lign?e des recommandations du G 20, a permis au patron de mesurer son influence. ?

Ses r?seaux politiques ont fonctionn? ? plein, de Bercy au Parlement. Entendu "plus que je ne l'esp?rais", assure-t-il, il aura cependant d? renoncer ? des sujets qui lui tenaient ? coeur: donner ? l'AMF un r?le plus formel sur la gouvernance des entreprises. Ou encore, lui octroyer la possibilit? de disposer d'un pouvoir de transaction afin de r?gler ? l'amiable les petites affaires et de pouvoir concentrer ses moyens d'enqu?te et de contr?le sur les plus gros dossiers. En revanche, il peut se flatter d'avoir obtenu un droit de recours sur les d?cisions de la commission des sanctions.?

En attendant une "affaire Goldman Sachs" ? la fran?aise

Il fallait en effet redonner confiance ? des ?quipes traumatis?es par l'affaire EADS, ?cras?es par le soup?on d'inefficacit?, voire d'incomp?tence. Jouyet et son secr?taire g?n?ral, Thierry Francq, un polytechnicien venu du Tr?sor, s'y sont attel?s. Sans r?ussir ? ?viter un certain flottement. ?

De fait, il y a bien quelque chose qui ne va pas au pays des limiers de l'AMF. Profils trop jeunes, turnover trop ?lev?, proc?dure exclusivement ? charge: "Nombre de dossiers soumis ? la commission des sanctions sont vou?s ? l'?chec, car mal ficel?s", regrette un familier. ?

Pour redresser la barre, les nouveaux dirigeants ont mis en place une charte de l'enqu?te et introduit un droit de r?ponse pour la d?fense. Quant ? la loi, elle cr?e un poste de secr?taire g?n?ral adjoint charg? de superviser les enqu?tes. D'aucuns sp?culent sur les changements que cela pourrait provoquer ? certains ?tages.?

AMF, gendarme impartial?

Car, pour l'instant, Jean-Pierre Jouyet n'a pas vraiment r?volutionn? l'aust?re maison. Seule innovation notable : la cr?ation d'une direction des relations avec les ?pargnants, confi?e ? une sp?cialiste de la relation clients venue de BNP Paribas. Un signal fort en direction des investisseurs individuels.?

En r?alit?, Jouyet sait qu'il lui faudrait une affaire embl?matique : "Je n'ai pas eu connaissance d'un Goldman Sachs ? la fran?aise. Mais si tel ?tait le cas, je le saisirais pour prouver que l'AMF est un gendarme impartial des march?s, m?me vis-?-vis des gros op?rateurs", glisse-t-il. ?

Nul doute que la crise financi?re et les nombreux contr?les ouverts dans la foul?e devraient lui en donner l'opportunit?. A moins que ce ne soit une enqu?te sur des abus de march? qui lui en fournisse l'occasion. La commission des sanctions publiera prochainement ses d?cisions sur un ?ventuel d?lit d'initi? ? la Soci?t? g?n?rale, sur l'information diffus?e par Natixis au coeur de la crise ou encore sur Wendel. Mais, faut-il le rappeler, elle statue en toute ind?pendance... Il reste quarante-deux mois ? Jouyet pour montrer les crocs. ?

A lire aussi : La r?gulation financi?re pour les nuls?


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